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Décision / 2022 / 256

Datum
2021-04-06
Gericht
Chambre des recours pénale
Bereich
Schweiz

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TRIBUNAL CANTONAL 237 PE21.020763-BBD CHAMBRE DES RECOURS PENALE .......................................... Arrêt du 7 avril 2022 .................. Composition : Mme B Y R D E , présidente Mme Fonjallaz et M. Maillard, juges Greffier : M. Ritter ***** Art. 5 al. 2, 36 al. 2 et 3 Cst.; 235 al. 1 CPP; 63 RSDAJ Statuant sur le recours interjeté le 18 mars 2022 par I......... contre la décision rendue le 8 mars 2022 par le Ministère public cantonal Strada dans la cause n° PE21.020763-BBD, la Chambre des recours pénale considère : En fait : A. a) Le Ministère public cantonal Strada (ci-après : le Ministère public) conduit une instruction pénale contre I........., né en 1998, ressortissant nigérian, pour infraction grave et contravention à la LStup (Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951; RS 812.121), recel (art. 160 ch. 1 CP [Code pénal; RS 311.0]) et infraction à la LEI (Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005; RS 142.20). Lors de son interpellation, en gare de Lausanne, le 30 novembre 2021, le prévenu était sous le coup de deux interdictions d’entrée en Suisse. Il était en outre en possession d’un téléphone portable volé et de 126,4 g de cocaïne; il a reconnu que cette drogue lui appartenait. Le prévenu est détenu provisoirement depuis le 30 novembre 2021. Il séjourne à la Prison de la Croisée. b) Le 14 décembre 2021, le détenu a rempli un formulaire de demande d’autorisation de téléphoner en anglais à sa « mummy »; l’autorisation lui a été octroyée le 17 décembre 2021, avec la précision que la langue autorisée était l’anglais. Le 2 janvier 2022, il a demandé à appeler sa « sister » en anglais; le 6 janvier suivant, l’autorisation lui a été accordée, également avec la précision que la langue autorisée était l’anglais. Le 11 janvier 2022, le détenu a rempli de manière identique une demande pour téléphoner à sa sœur; l’autorisation lui a été accordée le 17 janvier suivant, toujours avec la précision que la langue autorisée était l’anglais. Par la suite, les 25 janvier, 2 février et 25 février 2022, le détenu a à nouveau demandé à téléphoner en anglais à sa « mummy »; les autorisations lui ont été accordées, sans qu’il ne soit précisé que la langue autorisée fût l’anglais. Enfin, le 4 mars 2022, l’intéressé a demandé à s’entretenir en anglais avec sa « sister »; l’autorisation lui a été refusée le 9 mars suivant. Les numéros de téléphone inscrits sur les formulaires ad hoc pour la mère et la sœur du détenu ne sont pas identiques. B. Par décision du 8 mars 2022, la Procureure a fait part de ce qui suit au détenu : « (…) Je me réfère à vos dernières conversations téléphoniques effectuées. En effet, la langue autorisée lors de vos échanges est l’anglais. Cependant, il a été constaté que vos conversations sont effectuées dans un dialecte. Dès lors, je vous informe que vos appels téléphoniques sont suspendus jusqu’à nouvel avis. (…) ». C. Le 18 mars 2022, I........., représenté par son défenseur d’office, a recouru contre la décision du 8 mars 2022, concluant, avec suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu’il soit autorisé à passer des appels téléphoniques en anglais. Subsidiairement, il a conclu à l’annulation et à la réforme de la décision en ce sens qu’elle a désormais la teneur suivante : « Dès lors, je vous informe que vos appels téléphoniques sont suspendus pour une durée de 10 jours ». Il a produit des pièces. Les demandes d’autorisation de téléphoner pour la période du 20 décembre 2021 au 14 mars 2022 ont été versées au dossier à la réquisition de la Chambre des recours pénale (P. 23/1). Invité à se déterminer sur le recours, le Ministère public n’a pas procédé. Le 6 avril 2022, le recourant, agissant toujours par son défenseur d’office, a confirmé ses conclusions sans davantage étayer ses moyens. En droit : 1. Dirigé contre une décision du Ministère public (art. 393 al. 1 let. a CPP [Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007; RS 312.0]), le recours a été interjeté dans le délai légal (art. 322 al. 2 et 396 al. 1 CPP). Déposé en outre par le prévenu, détenu provisoirement, qui a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP), et établi dans les formes prescrites (art. 385 al. 1 CPP), le recours est ainsi recevable. Les pièces nouvelles sont également recevables (art. 390 al. 4 in fine CPP; CREP 8 novembre 2021/1020 consid. 1.3; CREP 9 juillet 2012/427 consid. 1b et les réf. citées). 2. 2.1 Le recourant fait valoir que la suspension de ses appels téléphoniques est disproportionnée et contraire à l’art. 235 CPP. Il relève qu’il a souhaité discuter avec sa mère qui ne parle pas l’anglais mais uniquement son dialecte, et qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit de téléphoner dans cette langue. Il affirme que son comportement n’a causé aucun dommage, d’autant que les enquêteurs ont relevé, lors de son audition du 24 février 2022, qu’il avait beaucoup collaboré à l’enquête et que les policiers l’avaient remercié d’avoir expliqué les éléments qui lui étaient présentés (PV aud. 3, R. 11 p. 7). Il fait valoir que des mesures moins incisives que la suspension jusqu’à nouvel avis pouvaient être prononcées, comme un avertissement ou une restriction à l’accès au téléphone pour une durée déterminée. 2.2 2.2.1 Selon l'art. 235 al. 1 CPP, la liberté des prévenus en détention ne peut être restreinte que dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l'ordre et de la sécurité dans l'établissement. Tout contact entre le prévenu en détention et des tiers est soumis à l'autorisation de la direction de la procédure. Les visites sont surveillées si nécessaire (al. 2). L'art. 235 al. 1 CPP constitue ainsi la base légale permettant de restreindre les droits des prévenus dans la mesure où le but de la détention l'exige (Schmid/Jositsch, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n° 1 ad art. 235 CPP; TF 1B.122/2020 du 20 mars 2020 consid. 2.1 à 2.3; TF 1B.17/2015 du 18 mars 2015 consid. 3.1). Il appartient au législateur cantonal de régler les droits et les obligations des prévenus en détention (art. 235 al. 5 CPP; cf. TF 1B.425/2015 du 21 juin 2016 consid. 2.4.1). La garantie de la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. [Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999; RS 101]) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH [Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950; RS 0.101] et 13 Cst.) permettent aux personnes détenues d'entretenir des contacts avec les membres de leur famille, dans les limites découlant de la mesure de contrainte qui leur est imposée et du rapport de sujétion spécial qui les lie à l'État (ATF 145 I 318 consid. 2.1 p. 321). Conformément aux exigences de l'art. 36 Cst., les restrictions à ces droits doivent reposer sur une base légale et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but de l'incarcération et au fonctionnement de l'établissement de détention (ATF 145 I 318 consid. 2.1 p. 321; ATF 143 I 241 consid. 3.4 p. 245 s. et les réf. cit.). Le principe de la proportionnalité, consacré de manière générale par la disposition susmentionnée, et rappelé en matière d'exécution de la détention avant jugement à l'art. 235 al. 1 CPP, exige en effet que chaque atteinte à ces droits fasse l'objet d'une pesée d'intérêts dans le cadre de laquelle l'autorité doit tenir compte de l'ensemble des circonstances, soit en particulier des buts de la détention (prévention des risques de fuite, de collusion ou de réitération), des impératifs de sécurité de l'établissement pénitentiaire, de la durée de l'incarcération et de la situation personnelle du prévenu (notamment le lieu de résidence des proches et les besoins et possibilités réelles de correspondre et de recevoir des visites; ATF 145 I 318 consid. 2.1 p. 321 s.). Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, les visites ou les appels téléphoniques, même en faveur des proches, peuvent être refusés à la personne placée en détention provisoire en cas de danger important de collusion (ATF 143 I 241 consid. 3.6 p. 247 et les réf. cit.). 2.2.2 Dans le canton de Vaud, le règlement du 28 novembre 2018 sur le statut des personnes détenues placées en établissement de détention avant jugement (RSDAJ; BLV 340.02.5) est applicable à toutes les personnes majeures détenues avant jugement, dans un établissement de détention avant jugement (art. 2 et 3 RSDAJ). Les relations des détenus avec l'extérieur sont précisées aux art. 53 ss RSDAJ. L'usage du téléphone est réglementé à l'art. 63 RSDAJ, dont l'al. 1 dispose que, pour autant que l'autorité dont elles dépendent les y ait autorisées, les personnes détenues avant jugement peuvent, sous le contrôle du personnel pénitentiaire, effectuer des appels téléphoniques, en principe à raison d'un par semaine. Les appels téléphoniques des personnes détenues avant jugement à leurs avocats ne sont pas soumis à autorisation (al. 2). Les appels s'effectuent durant les heures fixées par la direction de chaque établissement (al. 3). Les conversations sont enregistrées et peuvent être contrôlées (al. 6). 3. 3.1 A l’appui de son recours, le détenu a produit une lettre qu’il avait adressée à son avocat le 11 mars 2022, dans laquelle il indiquait qu’il avait appelé sa mère, qui ne parle pas anglais mais uniquement son dialecte, que c’était une erreur et qu’il n’avait pas compris que l’usage du dialecte était interdit, ajoutant encore que sa famille ne s’exprimait pas en anglais et qu’il était important qu’il puisse leur parler dans sa langue (P. 21/2/3). 3.2 Compte tenu des demandes d’autorisation de téléphoner que le prévenu a complétées, il s’est à l’évidence engagé à parler exclusivement en anglais avec sa mère et sa sœur. Par ailleurs, les trois premières autorisations précisent que seul l’usage de cette langue est autorisé, de sorte qu’il ne pouvait que savoir qu’il ne pouvait pas leur parler en dialecte. On s’étonne par ailleurs qu’il affirme, dans sa lettre précitée à son défenseur, que sa mère ou d’autres membres de sa famille ne s’expriment pas en anglais, alors même qu’il demande à leur parler dans cette langue. Il n’est ainsi pas crédible quand il affirme qu’il n’a pas compris les restrictions auxquelles ses appels étaient soumis. Le fait que les trois dernières autorisations qui concernent sa mère ne précisent pas que la langue autorisée est l’anglais ne permet pas de conclure qu’il ne les a pas comprises, dans la mesure où il avait auparavant demandé à pouvoir lui téléphoner dans cette langue. Enfin, le fait que les enquêteurs ont qualifié sa collaboration à l’instruction de bonne n’y change rien. Par ailleurs, l’enquête n’en est qu’à ses débuts. Elle concerne un trafic de stupéfiants, vraisemblablement avec des ramifications internationales impliquant un nombre important de comparses. En effet, le prévenu mentionne que sa mère et à sa sœur se trouvent au Nigéria et indique être domicilié à Rome, vivre avec son amie à Annemasse et s’être trouvé à Lausanne chez un ami qui a reçu un paquet (contenant de la drogue) provenant d’Italie, qu’il lui a demandé de transporter à Genève. Au vu de ces circonstances, le fait que la collaboration du prévenu à l’enquête a été qualifiée de bonne et qu’il a donné des explications au sujet d’un transport de drogue en particulier ne suffit pas pour affirmer que le risque de collusion (cf. l’art. 221 al. 1 let. b CPP) est inexistant. Le Tribunal des mesures de contrainte a du reste retenu ce risque à l’appui de son ordonnance de mise en détention provisoire du 3 décembre 2021. Il s’ensuit que c’est à juste titre que le Ministère public a suspendu le droit de téléphoner du prévenu, dès lors que l’intéressé n’a pas respecté son obligation de s’entretenir avec ses interlocuteurs en anglais et qu’il est primordial pour les besoins de l’enquête que ses déclarations soient compréhensibles pour qu’elles puissent être très rapidement vérifiées. 4 4.1 Le recourant se prévaut du principe de la proportionnalité à l’appui de sa conclusion subsidiaire. 4.2 Consacré par les art. 5 al. 2 et 36 al. 2 et 3 Cst., le principe de la proportionnalité exige que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats d'intérêt public escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; cf. ATF 146 I 157 consid. 5.4; ATF 141 I 20 consid. 6.2.1; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1; TF 1C.708/2020 du 27 janvier 2022 consid. 4.1). 4.3 En l’espèce, la mention « jusqu’à nouvel avis » figurant dans la décision attaquée implique que la durée de la suspension du droit de passer des appels téléphoniques n’est ni déterminée, ni déterminable. Cette décision ne comporte aucune motivation à cet égard. Dans ces circonstances, elle s’avère contraire au principe de la proportionnalité. Partant, la mention en question doit être supprimée du libellé de la décision attaquée. Il appartiendra au Ministère public cantonal Strada de rendre une nouvelle décision qui précisera la durée de la suspension au vu de l’avancée de l’instruction quant aux contacts téléphoniques du détenu avec ses proches, et ce dans un délai de cinq jours dès la notification du présent arrêt, faute de quoi la suspension des autorisations de téléphoner sera automatiquement levée. 5. Il résulte de ce qui précède que le recours doit être partiellement admis et la décision entreprise partiellement annulée en ce sens que la mention « jusqu’à nouvel avis » est supprimée. Les frais de la procédure de recours, par 880 fr. (art. 20 al. 1 TFIP [tarif des frais de procédure et indemnités en matière pénale du 28 septembre 2010; BLV 312.03.1]), ainsi que les frais imputables à la défense d’office (art. 422 al. 1 et 2 let. a CPP), fixés à 395 fr. 50, montant arrondi à 396 fr., qui comprennent des honoraires par 360 fr. (pour deux heures d’activité nécessaire d’avocat à 180 fr. l’heure), des débours forfaitaires par 7 fr. 20 (cf. art. 26b TFIP qui renvoie à l'art. 3bis RAJ [règlement sur l’assistance judiciaire en matière civile du 7 décembre 2010; BLV 211.02.3]) et la TVA sur le tout, au taux de 7,7%, par 28 fr. 30, seront mis à la charge du recourant à raison de la moitié, dès lors qu’il succombe partiellement (art. 428 al. 1 CPP), et laissés à la charge de l’Etat pour le surplus. Le remboursement à l'Etat de la moitié de l'indemnité allouée au défenseur d'office du recourant ne sera exigible que pour autant que la situation financière de ce dernier le permette (art. 135 al. 4 CPP). Par ces motifs, la Chambre des recours pénale prononce : I. Le recours est partiellement admis. II. La décision du 8 mars 2022 est partiellement annulée en ce sens que la mention « jusqu’à nouvel avis » est supprimée. III. Le dossier de la cause est renvoyé au Ministère public cantonal Strada pour qu’il statue dans le sens des considérants dans un délai de cinq jours dès la notification du présent arrêt, faute de quoi la suspension des autorisations de téléphoner sera automatiquement levée. IV. L’indemnité allouée au défenseur d’office de I........., Me Olivier Bloch, est fixée à 396 fr. (trois cent nonante-six francs). V. Les frais d’arrêt, par 880 fr. (huit cent huitante francs), ainsi que l’indemnité due au défenseur d’office de I........., par 396 fr. (trois cent nonante-six francs), sont mis à la charge de ce dernier à raison de la moitié, soit de 638 fr. (six cent trente-huit francs), et laissés à la charge de l’Etat pour le surplus. VI. Le remboursement à l'Etat de la moitié de l'indemnité allouée au chiffre IV ci-dessus ne sera exigible que pour autant que la situation financière de I......... le permette. VII. L’arrêt est exécutoire. La présidente : Le greffier : Du Le présent arrêt, dont la rédaction a été approuvée à huis clos, est notifié, par l'envoi d'une copie complète, à : - Me Olivier Bloch, avocat (pour I.........), - Ministère public central, et communiqué à : - Mme la Procureure du Ministère public cantonal Strada, par l’envoi de photocopies. Le présent arrêt peut faire l'objet d'un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral au sens des art. 78 ss LTF (loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral; RS 173.110). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète (art. 100 al. 1 LTF). En vertu de l’art. 135 al. 3 let. b CPP, le présent arrêt peut, en tant qu'il concerne l’indemnité d’office, faire l’objet d’un recours au sens des art. 393 ss CPP devant le Tribunal pénal fédéral (art. 37 al. 1 et 39 al. 1 LOAP [loi fédérale du 19 mars 2010 sur l’organisation des autorités pénales; RS 173.71]). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal pénal fédéral dans un délai de dix jours dès la notification de l’arrêt attaqué (art. 396 al. 1 CPP). Le greffier :