Omnilex

Décision / 2024 / 309

Datum
2024-03-27
Gericht
Chambre des recours pénale
Bereich
Schweiz

Omnilex ist das KI-Tool für Juristen in Schweiz

Wir indexieren und machen Entscheidungen zugänglicher

Zum Beispiel können Sie Omnilex verwenden für:


TRIBUNAL CANTONAL 244 PE23.020532-MNU CHAMBRE DES RECOURS PENALE .......................................... Arrêt du 28 mars 2024 .................. Composition : M. Krieger, président Mme Courbat et Mme Epard, juges Greffière : Mme Japona-Mirus ***** Art. 146 CP ; 310 ss CPP Statuant sur le recours interjeté le 11 décembre 2023 par B......... contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 30 novembre 2023 par le Ministère public de l’arrondissement de La Côte dans la cause n° PE23.020532-MNU, la Chambre des recours pénale considère : En fait : A. Le 19 octobre 2023, B......... a déposé plainte pénale contre inconnu pour escroquerie, ainsi que toute autre infraction dont l’instruction pourrait révéler l’existence. Il a expliqué qu’en novembre 2017, il avait été contacté par des représentants d’une société d’investissement nommée Y........., au sujet d’opportunités d’investissements dans les crypto-monnaies, que cette société apparaissait authentique et fiable, de sorte qu’il avait accepté d’effectuer plusieurs investissements par ce biais et que la société précitée lui avait créé un compte utilisateur, auquel il pouvait se connecter pour suivre ces investissements. Entre le 27 novembre 2017 et le 8 mai 2018, il aurait ainsi transféré les versements suivants depuis son compte bancaire ouvert auprès d’[...]: des versements à Y......... par carte de crédit pour un total de 15'950 USD, un transfert en faveur de la société G........., sur le compte de cette dernière ouvert auprès d’[...] AG à Budapest, pour un montant total de 240'000 USD, et un versement en faveur de cette même société sur son compte ouvert auprès de [...] à Budapest, pour un montant total de 140'000 USD. Le 16 novembre 2018, en se connectant à son compte sur la plateforme, il aurait découvert que celui-ci avait été vidé. Ce serait ainsi un total de 395'500 USD (recte : 395'950 USD) qui auraient été détournés. B. Par ordonnance du 30 novembre 2023, le Ministère public de l’arrondissement de La Côte (ci-après : Ministère public) a refusé d’entrer en matière (I) et a laissé les frais de cette ordonnance à la charge de l’Etat (II). La procureure a retenu que les éléments constitutifs de l’infraction d’escroquerie au sens de l’art. 146 CP n’étaient pas réunis, faute d’astuce. Le plaignant était une personne adulte qui avait volontairement versé des sommes d’argent importantes à un intermédiaire financier, en espérant en retirer des bénéfices, sans s’assurer au préalable qu’il s’agissait d’un établissement financier sûr. Or, de l’aveu même du plaignant, il avait été en mesure d’effectuer des recherches sur la société [...] Ltd et avait alors constaté qu’elle ne disposait d’aucune licence délivrée par un organisme de régulation des marchés financiers. Il avait également découvert que les instances de régulation du secteur financier britannique et espagnol avait publié un avertissement relatif à la société Y.......... Il avait dès lors très clairement omis les règles élémentaires de prudence avant d’opérer ses transferts d’argent, au demeurant, portant sur des sommes considérables. En outre, il recevait des indications quant aux noms et aux bénéficiaires à qui il devait transférer l’argent. Le fait que les banques se trouvaient en Hongrie aurait dû éveiller son attention et l’inciter à effectuer des vérifications sur les destinataires des fonds. Force était donc de constater que le plaignant n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures de prudence élémentaires requises dans de telles circonstances. Le litige entre B......... et le ou les bénéficiaires des sommes versées était dès lors purement civil. La procureure a encore relevé que le plaignant avait d’ores et déjà entrepris des démarches auprès des autorités hongroises, lesquelles avaient séquestré les fonds sur le compte de G......... le 4 juin 2018 déjà. C. Par acte du 11 décembre 2023, B........., par ses conseils de choix, a recouru auprès de la Chambre des recours pénale contre cette ordonnance, en concluant à son annulation, le dossier de la cause étant renvoyé au Ministère public pour qu’il procède dans le sens des considérants à intervenir, une indemnité de 3'762 fr. 50 lui étant allouée à titre de dépens. A l’appui de son recours, il a produit un bordereau de pièces. Le Ministère public ne s’est pas déterminé dans le délai qui lui a été imparti à cet effet. En droit : 1. Les parties peuvent attaquer une ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Ministère public en application de l’art. 310 CPP (Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 ; RS 312.0) dans les dix jours devant l’autorité de recours (art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 396 al. 1 CPP ; cf. art. 20 al. 1 let. b CPP) qui est, dans le canton de Vaud, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal (art. 13 LVCPP [loi vaudoise d’introduction du Code de procédure pénale suisse du 19 mai 2009 ; BLV 312.01] ; art. 80 LOJV [loi vaudoise d’organisation judiciaire du 12 décembre 1979 ; BLV 173.01]). Interjeté dans le délai légal et dans les formes prescrites (art. 385 al. 1 CPP) auprès de l’autorité compétente, par la partie plaignante qui a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP), le recours est recevable. 2. 2.1 Le recourant invoque une violation de l’art. 310 al. 1 CPP. Il soutient qu’on ne saurait exclure à ce stade l’infraction d’escroquerie, dès lors que les animateurs de la société Y......... avaient construit une véritable mise en scène pour orchestrer une escroquerie d’ampleur dans de nombreuses juridictions. 2.2 2.2.1 Aux termes de l’art. 309 al. 1 let. a CPP, le Ministère public ouvre une instruction, notamment, lorsqu’il ressort du rapport de police, des dénonciations ou de ses propres constatations des soupçons suffisants laissant présumer qu’une infraction a été commise. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement – c'est-à-dire sans qu'une instruction soit ouverte (art. 309 al. 1 et 4 CPP ; ATF 144 IV 81 consid. 2.3.3 ; Grodecki/Cornu, in : Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 310 CPP) – une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il apparaît, à réception de la dénonciation (cf. art. 301 et 302 CPP) ou de la plainte (Grodecki/Cornu, op. cit., n. 1 ad art. 310 CPP) ou après une procédure préliminaire limitée aux investigations de la police (art. 300 al. 1 let. a, 306 et 307 CPP), que les éléments constitutifs d'une infraction ou les conditions d'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (ATF 146 IV 68 consid. 2.1 ; TF 6B.1177/2022 du 21 février 2023 consid. 2.1). Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. [Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 ; RS 101] et art. 2 al. 2 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 ; TF 6B.1177/2022 précité) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 précité). En d'autres termes, il faut être certain que l'état de fait ne constitue aucune infraction. Une ordonnance de non-entrée en matière ne peut être rendue que dans les cas clairs du point de vue des faits, mais également du droit ; s'il est nécessaire de clarifier l'état de fait ou de procéder à une appréciation juridique approfondie, le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière n'entre pas en ligne de compte. En règle générale, dans le doute, il convient d'ouvrir une enquête pénale (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 précité consid. 4.1.2 ; ATF 137 IV 285 consid. 2.3 et les réf. cit., JdT 2012 IV 160). 2.2.2 Aux termes de l'art. 146 al. 1 CP, commet une escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas ; il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2; ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; TF 6B.666/2023 du 29 janvier 2024 consid. 1.3.1). L'astuce n'est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que si elle n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances. Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 147 IV 73 consid. 3.2 ; ATF 143 IV 302 consid. 1.4.1; ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 ; ATF 135 IV 76 consid. 5.2 ; TF 6B.666/2023 précité consid. 1.3.1). 2.3 En l’espèce, on doit admettre avec le recourant qu’il existe des indices sérieux qu’il a été victime d’une escroquerie au sens de l’art. 146 CP. En effet, le recourant dit avoir été contacté plusieurs fois par des représentants de la société Y.......... Il a en particulier été contacté par un certain [...], qui s’est fait passer pour un professionnel de l’investissement disposant d’une grande expérience. Pour prouver ses dires, celui-ci lui a transmis un article qu’il avait prétendument rédigé concernant les effets de la hausse des taux d’intérêts sur le prix de l’or (cf. bordereau, P. 3). Le recourant a consulté le site Internet d’Y........., qui lui a paru « authentique et fiable », dès lors qu’il s’agissait d’une plateforme d’investissements usuelle dans le secteur financier, contenant plusieurs fonctionnalités, dont notamment un compte utilisateur sur lequel le recourant pouvait, selon ses dires, suivre les transactions effectuées, consulter son profil et vérifier le solde de son compte. Il a dû en outre produire plusieurs documents, afin que son identité puisse être vérifiée, ce qui a contribué à le mettre en confiance. Il a donc effectué régulièrement des versements, sur une période d’environ six mois, d’abord sur un compte ouvert à la banque [...] AG, puis sur des comptes ouverts auprès de banques en Hongrie. Comme les versements apparaissaient sur son compte, il n’avait aucune raison de se méfier. Ce n'est que le 16 novembre 2018, soit un an après le début des versements, qu’en se connectant à son compte sur la plateforme, il s’est aperçu que celui-ci avait été vidé. A la suite d’investigations plus poussées, il a appris qu’Y......... était une escroquerie qui avait réussi à tromper et convaincre de nombreuses personnes dans différents pays. Cette fraude a d’ailleurs fait l’objet d’avertissements publiés par les instances de régulation britannique et espagnole. Il semble toutefois que ces avertissements n’aient été publiés qu’en 2020 et 2021 (cf. bordereau P. 7 et 8), soit bien après les investissements opérés par le recourant. Au vu de ce qui précède, on ne saurait considérer que le recourant n’a pas fait preuve d’un minimum de prudence. Il apparaît au contraire avoir été victime d’une fraude sophistiquée d’ampleur internationale. Dans tous les cas, à ce stade, on ne peut pas exclure que l’élément constitutif de l’astuce soit réalisé. Il s’ensuit que les conditions strictes d’un refus d’entrer en matière posées par l’art. 310 al. 1 let. a CPP ne sont pas réunies. Il appartiendra donc au Ministère public d’ouvrir une instruction pénale et de procéder à toutes mesures d’instruction propres à éclaircir les faits. A cet égard, il importe peu que le recourant ait entrepris des démarches auprès des autorités hongroises et qu'elles aient déjà séquestré le compte bancaire de G......... ouvert auprès d’[...] AG, d’autant que ce n’est pas le seul compte qui aurait été crédité par le recourant. 3. En définitive, le recours doit être admis, l’ordonnance attaquée annulée et le dossier de la cause renvoyé au Ministère public pour qu’il procède dans le sens des considérants. Les frais de la procédure de recours, constitués en l'espèce de l'émolument d'arrêt, par 880 fr. (art. 20 al. 1 TFIP [tarif des frais de procédure et indemnités en matière pénale du 28 septembre 2010 ; BLV 312.03.1]), seront laissés à la charge de l’Etat (art. 428 al. 4 CPP). Le recourant, qui obtient gain de cause et qui a procédé avec l’assistance d’un mandataire professionnel, a droit à une juste indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits pour la procédure de recours, à la charge de l’Etat (art. 436 al. 3 CPP ; TF 6B.1004/2015 du 5 mai 2016 consid. 1.3 ; Jositsch/Schmid, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 3e éd., 2023, n. 4 ad art. 436 CPP). Les avocats du recourant ont déposé une liste d’opérations indiquant 10h45 de travail. Le temps consacré à la rédaction et à la finalisation du recours, ainsi qu’aux recherches juridiques, soit 9h30 au total, est excessif, compte tenu du volume du dossier, qui ne contient que la plainte pénale, de la difficulté de la cause et de l’infraction en cause, bien connue des avocats, soit l’escroquerie, dont les règles de droit et la jurisprudence, axée principalement sur l’élément de l’astuce, sont faciles à trouver. Il sera par conséquent retenu 5 heures d’activité nécessaire. Au tarif horaire de 300 fr. (art. 26a al. 3 TFIP [tarif des frais de procédure et indemnités en matière pénale du 28 septembre 2010 ; BLV 312.03.1]), le défraiement s’élève à 1’500 francs. Il faut y ajouter 2 % pour les débours forfaitaires (art. 3bis al. 1 RAJ [règlement sur l'assistance judiciaire en matière civile du 7 décembre 2010 ; BLV 211.02.3] par renvoi de l’art. 26a al. 6 TFIP), soit 30 fr., et 7,7 % de TVA sur le tout, s’agissant d’opérations effectuées en 2023, soit 117 fr. 80, ce qui représente une indemnité de 1'648 fr. en chiffres arrondis. Par ces motifs, la Chambre des recours pénale prononce : I. Le recours est admis. II. L’ordonnance du 30 novembre 2023 est annulée. III. Le dossier de la cause est renvoyé au Ministère public de l’arrondissement de La Côte pour qu’il procède dans le sens des considérants. IV. Une indemnité de 1'648 fr. est allouée à B......... pour la procédure de recours, à la charge de l’Etat. V. Les frais d’arrêt, par 880 fr. (huit cent huitante francs), sont laissés à la charge de l’Etat. IV. L’arrêt est exécutoire. Le président : La greffière : Du Le présent arrêt, dont la rédaction a été approuvée à huis clos, est notifié, par l'envoi d'une copie complète, à : - Mes Frédéric Serra et Melina Haralabopoulos, avocats (pour B.........), - Ministère public central ; et communiqué à : ‑ Mme la Procureure de l’arrondissement de La Côte, par l’envoi de photocopies. Le présent arrêt peut faire l'objet d'un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral au sens des art. 78 ss LTF (loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral ; RS 173.110). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète (art. 100 al. 1 LTF). La greffière :